Dejeuner Invertébré·e·s

Déjeuner invertébré est une performance culinaire d’Alice Héron qui s’inscrit au sein de sa recherche multimédia Gut feeling, expression anglaise renvoyant à un sentiment viscéral et profond, à ce qui vient « des tripes ». Cette recherche questionne ce que les représentations organiques primaires peuvent provoquer comme réactions. C'est une série de sculptures, d'installations et de performances qui explorent l’instinct, le (p)ressentiment, le ressenti, le dégoût et l’envie, et la façon dont ces sentiments qui nous gouvernent ont, pour beaucoup, partie liée avec l’alimentation. Afin de comprendre la profondeur des interprétations possibles de ce travail artistique, et d’éclairer comment se noue, dans l’expérience culinaire du mangeur, la relation entre ce qu’il ingère objectivement – ce qu’il rationnalise – et ce qu’il digère symboliquement – ce que ses tripes lui dictent –, un premier détour par quelques principes de l’anthropologie de l’alimentation pourra être utile au lecteur. En second temps, suivant l’invitation d’Alice (au pays des merveilles), nous pourrons questionner notre relation au réel, déjouant les trompe-l’œil proposés par Alice (Héron) dans son Déjeuner invertébré, entre pratique d’entomophagie et questionnement des goûts et des dégoûts. Finalement, puisque l’expérience du mangeur est une construction culturelle complexe, nous montrerons comment le travail d’Alice Héron permet un retournement : et si l’invertébré n’était pas tant ce ver à ingérer que nos intestins le digérant ? Par le façonnage de sculptures, le design d’objets culinaires et par l’expérience culinaire, c’est bien une ode à la puissance et à l’ambivalence des organes du corps humain et aux sentiments qu’ils nous procurent que la cheffe-artiste compose dans sa recherche artistique.

Texte de Raphaelle Heron

(Vies et formes invertébrées dans les sciences et dans les arts, Journée d’étude transdisciplinaire artistes et chercheur·se·s.)



À travers le choix de ses aliments, l’homme choisit le type d’homme qu’il désire être… En réduisant le pain à des calories, le vin à une drogue, le sexuel à une hygiène, nous nions le rôle affectif de la chair et nous proclamons que notre science est suffisante pour donner un sens à la vie : nous reléguons la symbolique et le sacré au rang de vestiges barbares
— Jean Trémolières (1973)